Mercredi 13 février, après avoir quitté la province de Buenos Aires, je me réveille au petit matin dans le bus roulant en direction de la Patagonie.
La nuit n`a pas été de tout repos ! Malgré les températures estivales, j'ai très froid à cause de la climatisation. Tous les Argentins affectionnent la climatisation et en sont très fiers, dès lors qu`ils en possèdent une. Les compagnies de bus l`utilisent comme un argument commercial, synonyme de confort et de modernité. En temps normal, je l`aurais appréciée mais là, je suis gelée à un point que je me mettons à imaginer l`existence d`un dieu de la climatisation que les Argentins vénéreraient quelle que soit la saison ! Le fait d`en rire me permet de me réchauffer un peu.
Le voyage est également agrémenté de bruits en tout genre : pierres qui roulent sous le bus ou devrai-je dire grosses caillasses qui cabossent le bas de caisse du bus et qui le soulèvent de temps à autre, accrochage des installations électriques et arrachage de branches d`arbre trop basses au regard de la hauteur du bus ! Je n`en reviens pas mais le chauffeur est confiant : quel que soit l`obstacle, ça passe ! Et sans freiner, bien sûr, on ne va pas faire de chichis ! J'attends le moment ou le bus va arracher des fils électriques qui semblent s`être accrochés à son toit et qu`il tire sur quelques mètres. Mais les fils finissent par se libérer d`eux-même. Je suis quand même un peu déçue.
J'arrive à la frontière entre la province de Buenos Aires et la province de Rio Negro. Le bus est arrêté par un groupe de militaires qui semble être spécialisé dans les stupéfiants. Le chauffeur du bus et son collègue doivent vider les soutes et présenter nos bagages aux militaires et à leurs chiens. Pendant ce temps, deux militaires montent dans le bus avec un chien : un se positionne au niveau de la sortie et l`autre contrôle les papiers de chaque passager. L`opération de contrôle est vraiment sérieuse et je sens bien qu`une petite blagounette ne serait pas la bienvenue. Un militaire questionne une femme voyageant seule avec son bébé et lui demande les raisons de son voyage ainsi que la cause de l`absence du père. Apparemment, il se méfie des enlèvements d`enfants ou alors, est-ce l'expression d'une attitude machiste qui considérerait qu'une femme ne serait pas libre de se déplacer sans le consentement de son conjoint.
Après le contrôle des papiers, le militaire lâche son chien qui vient renifler chaque passager. Je suis impressionnée par la précision du flair de l`animal : en effet, j'ai de la nourriture sur moi mais cela ne retient pas son attention. En revanche, le chien s`assied entre les jambes d`un passager et reste planté là jusqu'à l`arrivée de son maître. Même si les militaires demandent calmement au passager de descendre du bus, je sens bien que la situation est tendue. Après une demi-heure d`attente, je reprends la route sans ce passager.
Après une micro sieste, le bus s`arrête à San Antonio Oeste pour que je puisse prendre un petit-déjeuner. Le village est étrangement calme. Il me donne le sentiment que sa population s`est enfuie et que le temps s`est arrêté. Pour saisir parfaitement l`ambiance des lieux, imaginez-vous un village du far west où les habitants se cacheraient par crainte de l`arrivée des Daltons :)
Je reprends la route et je commence à réaliser que je suis bel et bien en Patagonie. Pendant des heures, je ne croise aucun village mais cette sensation de vide est très agréable, voire même rassurante. Je peux observer des édifices délabrés construits au milieu de nulle part et puis surtout de vastes étendues. La Patagonie est, en effet, une des régions qui a la plus faible démographie au monde : seulement 2,2 habitants au km² en moyenne ! J'aurais pu gonfler les chiffres en incluant les moutons et les bœufs qui finiront en asado (grillade réalisée à l`aide d`une crémaillère) mais je préfère rester honnête :)
A 14h, j'arrive à Puerto Madryn, petite ville de 74 000 habitants fondée en 1886 par les colons venus du Pays de Galle. Cette ville se situe dans la province de Chubut qui tire son nom du peuple autochtone qui y vivait autrefois en grand nombre avant d`être massacré.
Je suis en route pour rejoindre mon auberge de jeunesse : la Casa de Tounens. Sur un mur de la ville, je peux lire un des discours populistes de Evita.
A mon arrivée, je découvre une auberge de jeunesse de charme très confortable. Je suis ravie de ma chambre et apprécie les services rendus par Vincent, le maître des lieux : réservation de ma future excursion sur la Péninsule Valdes, linge sale amené et ramené de la laverie par ses soins,... Je n`ai rien d`autre à faire que profiter !
Par conséquent, je pars me promener sur le front de mer, à la Playa Tomas Curti. Même si je suis au cœur de la saison estivale et que Puerto Madryn est une station balnéaire, je ressens une agréable sensation comme si j'étais hors saison.
Nous sommes attirés par le bruit lointain d'une musique qui semble être jouée en live. En me rapprochant, je découvre des manifestants autochtones qui expriment leurs contestations en faisant un concert. Ceux-ci manifestent contre les expropriations dont ils font l`objet. En effet, l`Etat saisit les terres ancestrales que les autochtones appellent affectueusement la Pachamama ("terre mère") afin de les revendre à des entreprises qui y installent des exploitations minières mais aussi des forages pour obtenir du gaz de schiste ! Pour cela, la méthode du "fraking" est utilisée : elle consiste à déverser des agents chimiques dans un forage pour créer des explosions qui vont fracturer la roche et libérer le gaz qui y est emprisonné. Ce gaz est ensuite récupéré pour être transformé en combustible. Mais les agents chimiques utilisés pour le "fraking" contaminent les nappes fréatiques et la terre lorsquiils sont déversés dans le forage ainsi que l'air, au moment de l'explosion. Aux Etats-Unis, un documentaire montre un foyer se trouvant à proximité d`une installation de "fraking" dont le gaz s`est infiltré dans l`eau courante. Il suffit de faire couler l'eau du robinet et d'y approcher la flamme d`un briquet pour que l`eau s'enflamme. Dès lors, il est extrêmement dangereux pour la santé de boire cette eau, cuisiner ou se laver avec. Outre le mécontentement causé par la perte de leurs terres, les autochtones veulent également sensibiliser la population sur les effets néfastes du "fraking".
Je suis surprise d`apprendre que la Présidente de la nation inaugure aujourd'hui le premier forage de gaz de schiste dans la province de Chubut ! Malgré la reconnaissance par la scène internationale des effets extrêmement nocifs du "fraking" sur les vies humaines, animales et végétales, une partie de la population argentine est favorable à la multiplication des forages. Avec l`implantation de nouvelles entreprises, elle espère la création de nouveaux emplois.
Je continue ma promenade sur le front de mer sur la Playa Balandra Columba.
Ici, se trouve une impressionnante muraille sur pilotis, construite en béton, qui surplombe l`océan atlantique sur 1200 m de long : la Muelle Comandante Luis Piedra Buena. Cette muraille est le lieu favori des pêcheurs qui peuvent accéder aux poissons nageant dans les eaux profondes de l`océan.
L`endroit est magique : je marche en n`ayant autour de moi que l`océan pour seul paysage.
De retour à La Casa des Tounens, je faisons la connaissance de deux Français très sympathiques vivant à Sao Paulo au Brésil : Cyriaque, ergothérapeute ; Sylvain, kinésithérapeute et leur compagnon de voyage, Matthieu Quebragrao, égérie d`une grande marque de l`agroalimentaire. Bien que Matthieu connaisse une carrière fulgurante et mène un train de vie digne d`une rockstar, il se sent las des petits pois et des carottes et entreprend un voyage en Amérique latine pour se ressourcer. Saurez-vous déchiffrer le mystère qui réside dans son nom de famille ?
Tous ensemble, nous terminons notre journée dans le jardin de La Casa de Tounens en papotant et en rigolant autour d`une bonne bière :) Demain, je partirai explorer la Péninsule Valdes et rencontrer les nombreux animaux qu`accueille cette réserve !
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