Vendredi 15 mars, 6h du matin, je maudis le
réveil. Cette nuit encore, je n’ai pas fermé l’œil et quand je me lève, tout le monde dort. J’enrage ! Mais je suis bien
décidée à ne pas laisser la fatigue prendre le dessus et j'essaie de me remettre les idées en place pour profiter un maximum de cette belle journée qui
m'attend. Belle, non pas grâce au soleil qui me fait faux bond mais belle,
par la diversité des paysages que m'offre l’Altiplano !
Car, aujourd'hui, le ciel est gris est les nuages
sont bas. Mais tout en attendant la camionnette qui doit me récupérer devant
l’auberge, mes neurones s’étant probablement connectés, je réalise que les
nuages ne peuvent qu’être bas puisque je suis en altitude.
La camionnette est là et j'embarque pour
sortir de la ville et découvrir les terres de l'Altiplano. Je parcours les
gorges étroites de la Quebrada del Toro située au cœur des Andes dans le
nord-est de l’Argentine et dans le sud-ouest de l’Altiplano (faut
suivre…) : bref, c’est au nord de l’Argentine ! Les lieux sont formés
par une multitude de canyons nés de l’érosion des Andes, du vent et de la
sécheresse.
D’ailleurs, je remarque à mon passage que le
Rio Toro (fleuve Taureau), appelé aussi Rio Rosario, est quasiment à sec. Le
Rio Toro est longé, sur presque tout son parcours par le Tren de las nubes (Train
des nuages) qui fait partie du chemin de fer du General Belgrano et qui enjambe
canyons et ravins entre Salta et la petite ville de San Antonio de los Cobres.
Ce train, dont l’exploitation avait cessé en 2005,
fonctionne à nouveau depuis avril 2009. A certains points de son trajet, il
circule à 4000 mètres d’altitude et on dit que ses passagers peuvent même
toucher les nuages. Mais à cette époque de l’année, l’épaisseur du brouillard
et la densité des nuages font que le train n’assure pas la liaison entre Salta
et San Antonio de los Cobres.
Je vais donc suivre son parcours par la voie
ferrée. Cela me permet de croiser la route de l’imposant viaduc qui surplombe
le Rio Toro et sur lequel passe le Tren de las nubes.
Au cours de mon escapade à travers la Quebrada
del Toro, je rencontre aussi un petit autel religieux érigé à la gloire de
la Vierge. A ses pieds, un amas de bouteilles en plastiques. Aussi surprenant
que cela puisse être, ceci n’est pas une dégradation de la nature par des
hommes peu scrupuleux mais une offrande à la Pachamama (Terre-Mère). En
déposant des bouteilles, ils prient pour que l’eau coule dans les gorges
asséchées. Cet autel incarne à lui seul
la rencontre de la culture andine avec la religion catholique et la
manière dont la population locale s’est appropriée une religion diffusée par
les colons espagnols.
La Quebrada del Toro possède également de vastes
étendues remplies de cactus dont certains sont aussi grands que des arbres.
J'ignore pourquoi mais me promener au milieu des cactus a quelque chose de
marrant, surtout quand ils font quelques têtes de plus que moi, et puis, je ne m'en lasse pas. Cela me fait le même effet, lorsqu’en France, je pars dans les bois ramasser des champignons. J'accours auprès de chaque
cèpe aperçu pour l’observer, voir comment il est et spéculer sur le temps qui
s’est écoulé depuis qu’il a poussé. Et bien là, c’est pareil et il y a de quoi
s’occuper dans la Quebrada del Toro :)
Ma traversée de la Quebrada del Toro s’achève à
San Antonio de las Cobres, petite ville qui tire son nom du Rio San Antonio qui
la traverse.
Je suis maintenant à 3 700 mètres
d’altitude. Cette ville aux allures de petit village, qui regroupe 90% de la
population du département de Los Andes, semble s’être bâtie au milieu de nulle
part, comme une oasis. Située au carrefour du Chili et de la Bolivie, San
Antonio de los Cobres accueille traditionnellement des travailleurs immigrés
péruviens et boliviens, soit comme lieu de passage pour rejoindre le Chili,
soit comme lieu de vie en Argentine. Un quartier neuf, dont l’architecture
dénote totalement avec le reste de la ville, a été construit pour donner des
possibilités de logement « moderne » a une population en pleine
expansion.
Pour moi, c’est un véritable dépaysement !
D’une manière générale, la majorité des Argentins et des Chiliens ressemblent
aux européens en raison de la colonisation espagnole mais là, j'arrive à
une étape de mon voyage où je rencontre des descendants des indigènes.
Après avoir échangé quelques mots et quelques
sourires avec la petite fille du marchand ambulant de sucreries, je m'assieds sur une petite place pour déjeuner. Mon sandwich parait douteux, mais
je ne m'en plains pas, c’est moi qui l'ai préparé :) Un
groupe d’enfants en uniforme scolaire arrive en chahutant, sucreries à la main,
pour rejoindre leur école. Il semblerait que l’église juste à côté de moi fasse aussi office d’école.
Je repars de San Antonio de las Cobres et pour
la première fois depuis le début du voyage, mon chemin croise celui de lamas.
J'avais déjà vu des vigognes et des guanacos mais pas encore de lamas. Ca y
est, c’est chose faite :)
A ce sujet, j'ai une petite anecdote à vous
raconter sur les origines du mot « lama ». En réalité, les indigènes
les appellent « llama » en raison d’une méprise avec les colons
espagnols. En effet, ces derniers, curieux de connaître quel était cet étrange
animal qu’ils rencontrèrent pour la première fois, demandèrent aux indigènes :
« como se llama ? » (comment s’appelle-t-il ?). Et les indigènes
répétèrent « llama » car ils ne comprenaient pas la langue parlée par
les colons. Ces derniers pensèrent que les indigènes répondaient à leur
question et que l’animal s’appelait « llama ». C’est ainsi que l’animal
fut nommé « llama » (lama, en Français).
Je parcours encore des terres rocheuses qui s’étendent
à perte de vue. Et tout à coup, comme surgissant de nulle part, j'aperçois une vaste étendue plane d’un blanc éclatant et étincelant. Le changement de
décor se fait en un éclair. L’instant d’avant, j'étais entourée de canyons et
de brume et la minute d’après, je suis devant un désert de sel sous un ciel
bleu éclatant : ce sont les fameuses Salinas Grandes !
Outre l’extraction de sel commun, de nitrate de
potassium, de l’iode, de lithium et de chlorure de sodium, le sel sert
également à la fabrication de briques.
Je regrette qu’il soit déjà temps de reprendre
la route et d’abandonner ce lieu quasi-irréel. Mon périple se poursuivit à
travers les montagnes jusqu'à atteindre le col qui culmine à 4 170 mètres
d’altitude. Je peux littéralement toucher les nuages !
En redescendant le col, j'atteins la Quebrada
de Humahuaca (Gorges de l’ Humahauca). Ces gorges portent le nom d’une ancienne
ethnie indigène d’agriculteurs, appelée aussi Omaguaca, qui avait développé des
techniques très poussées en tissage et en poterie. La Quebrada de Humahuaca a
été déclarée Patrimoine culturel et naturel de l’humanité en 2003 par l’Unesco
et effectivement, les paysages sont très beaux ! Je suis entourée de
canyons de toutes les couleurs avec d’innombrables nuances de vert et de
marron.
J'arrive dans le petit village de Purmamarca
qui m'offre une belle vue sur le Cerro de los Siete colores (Mont des Sept
couleurs).
Je me promène dans le village et flâne
au marché artisanal où je me laisse tenter par deux paires de
boucles d’oreilles aux couleurs vives rappelant celles des tissus des
Humahuacas. Je conserverai une paire pour les offrir à une amie. Je craque aussi pour les galettes de maïs que l’on peut déguster nature ou
fourrées au fromage.
Pour aujourd'hui, ma découverte de l'Altiplano s’arrête
là et je rejoins la ville la plus proche, San Salvador de Jujuy, pour
passer la nuit. Requinquée par cette journée, à peine mon sac déposé dans un
hostal situé au-dessus du restaurant Chung King, je décide de faire
quelques pas dans la ville. Il est près de 20 heures et les commerces ferment
tous les uns après les autres. Il ne me reste plus que le centre commercial
où le dernier étage abrite toutes les chaînes possibles et imaginables de
restauration rapide. Je m'attable pour manger un wok et repars aussi
vite. Sur mon trajet pour retourner à l’hostal, je croise un cinéma et
vais voir « Oz, el poderoso » (Oz, le magnifique). Le film est
intégralement en espagnol et je suis surprise de m'apercevoir que je comprends tous les dialogues ! Le voyage porte ses fruits ;)
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